La visite du jardin
Cela se passait au printemps ou en été. C’était en tout début d’après-midi. Après notre repas, s’il faisait beau temps, je sortais jouer dans la cour, m’exerçant à la corde à sauter, à l’élastique ou au jonglage avec des balles de caoutchouc.
A un moment, maman me rejoignait et là, sans nous concerter, nous commencions la visite du jardin.
Nous avancions le long des massifs. Maman commençait à nommer les fleurs et à donner des précisions sur leur nature, le cycle de leur vie… Mais ce qui me touchait, c’était son attention aux détails et la douceur de ses gestes, enlevant là une fleur fanée, une tige dégarnie ou ici un caillou indésirable.
Très vite, tous mes sens se mettaient en action. Avec un plaisir inouï, je recevais les paroles que ma mère m’adressait :
« Tu vois là…regarde…attends quelques jours et tu verras, tu sentiras..».
Ou ses projets :
« Je dois rabattre cette plante à l’automne, elle prend toute la place…Mme David va me donner des boutures….Je vais les planter là…
Et quand elle personnalisait ses plantations :
« Elles ont soif…Je dois leur faire de la place…Ici, elles se plaisent…J’ai essayé de les mettre là mais elle ne font rien…
Et même, qu’elle les menaçait :
« Bon, c’est ta dernière chance, si tu ne fleuris pas cette année… !
J’avais conscience de vivre un moment privilégié. Une communion s’installait entre ma mère, le jardin et moi, comme une trinité sacrée !
Parfois, à ma grande joie, elle cueillait un bouquet que j’offrirai à ma maîtresse juste avant la classe de l’après-midi.
Mais l’heure du départ arrivait vite :
« Oh, tu dois y aller, c’est l’heure ».
Elle m’embrassait et je partais en sautillant. Avant de passer le portail, je lui faisais un geste de la main.
Et voilà. Avec ou sans fleurs, j’emportais dans mon cœur un peu de tendresse, de beauté et d’amour ! Et je gardais confiance car je savais qu’il me serait donné de vivre encore et encore ce grand bonheur, dans quelques jours, quelques semaines ou quelques années quand je ferai encore, avec maman, la visite du jardin.
18 juin 2020