Une gravure mémorable

Depuis quelques semaines, dans le Musée, une collection ancienne d’images et papiers est exposée au public. Peu après son installation, est venu un vieux monsieur.

(en gras les syllabes ou mots imposés)

Garnier-Allabre, 1782-1834, que de souvenirs ! Voyons cette exposition !

Le vieil homme contemple l’affiche placardée à l’entrée du musée.

Tout lui revient en mémoire : les planches qu’il gravait et encrait afin d’éditer des images incroyables…et en plusieurs exemplaires ! C’était tellement moderne pour l’époque. Aujourd’hui, en ce début de XXème siècle, avec l’invention de la photographie, cette technique de la gravure a été délaissée.

Antoine entra dans le Musée des Beaux-Arts, afin de découvrir cette exposition.

Voilà, il est devant la première image. Il s’agit de la représentation d’une femme du sud de l’Afrique. Elle est splendide avec sa parure de fête ! Ensuite, il découvre une parodie de justice avec le dessin d’un homme imposant qui fait pencher la balance à son avantage. Plus loin, une gravure représentant les semailles en Beauce pendant la révolution. Une date est inscrite : 11 Germinal de l’an IV.

– Heureusement, pense Antoine, nous sommes revenus à un calendrier plus pratique !

Derrière lui, une bastide avec un toit de chaume donne une idée de ce qu’était la vie dans les lieux reculés de la Provence. Enfin, Antoine arrive devant la fameuse girafe, celle sur laquelle il avait lui-même travaillé. Il avait dû recommencer plusieurs fois : la gravure demandait de la minutie, tout geste malhabile était irréparable. Quand même, cette girafe qui a traversé la France en 1817, c’était un vrai spectacle pour des gens qui n’étaient jamais sortis de leur canton ! L’homme se détache avec peine de l’image pour passer à la suivante.

– Non, ce n’est pas possible, pas elle !

Devant lui se trouve Hélène, enfin sa représentation, mais elle semble tellement vivante ! Comment cette image est-elle arrivée ici, maintenant ?

Il observe la belle femme quand tout à coup, mû par un désir irrésistible, il tente d’ouvrir la vitrine. Il veut avoir cette image entre ses mains. Heureusement, la résistance de la serrure l’aide à reprendre ses esprits. Il se fige alors devant la gravure jusqu’à la fermeture du Musée.

Il revient chaque jour et, comme la station debout le fatigue, il apporte un petit siège pliant.

Un jour, il découvre une femme installée à sa place. Intrigué, il s’approche. Quand il arrive près d’elle, elle se retourne, l’observe et s’écrie :

– Antoine, Antoine Tiébault ! Vous ne me reconnaissez pas ? Je suis la fille de Pierre.

– Marie ? Je suis très heureux de vous retrouver. Quand je travaillais chez votre père, vous étiez une toute jeune fille. Je ne savais pas que vous étiez encore dans la région.

– En fait, je vis à Paris mais je voulais voir cette exposition car je savais que j’y retrouverais ce portrait de ma mère, elle est si belle !

Antoine n’a pas le cœur de lui avouer les sentiments qu’il avait eu pour cette femme, il y a soixante-dix ans.

Ils terminent ensemble la visite de l’exposition puis ils échangent longuement autour d’un café. Enfin, ils se séparent pour certainement ne jamais se retrouver.

Antoine ne retournera pas voir l’exposition. Il est guéri de son amour interdit, définitivement.

7 décembre 2019