Raconter une histoire en incluant des mots imposés au hasard
Tous les choristes entrèrent dans la salle, détendus, et s’installèrent derrière leurs pupitres. Ils disposèrent leurs partitions puis ouvrirent le livret du chant en cours d’étude. Le chef de chœur salua l’assemblée puis commença l’échauffement. Il ne s’agissait pas de rester impassible comme un janissaire turc mais il fallait s’appliquer à bien échauffer les lèvres et les joues puis travailler l’amplitude de la voix en reproduisant des arpèges.
Pour affiner encore l’articulation, le chef de chœur s’amusa à proposer des contrepèteries à enchaîner…Ainsi, en plus d’un échauffement réussi, il avait installé une humeur joyeuse dans les rangs des choristes.
Le premier chant étudié était le Voyage en Italie de Schumann. Il était déjà bien connu par tous, il ne restait plus qu’à améliorer les nuances et le tempo.
Sarah faisait parti de ce chœur depuis deux ans. Elle travaillait chez elle avec application chaque semaine pour être plus à l’aise aux répétitions. Mais ce jour-là, quand elle ouvrit sa partition, elle se rendit compte avec angoisse que celle-ci était illisible. Mais, que se passait-il ? De grands traits de stylo lézardait le texte. Les mesures avaient été déplacées, agencées d’une autre manière, les valeurs de notes avaient été modifiés. Alors, dans la tête de Sarah, ce fut le tumulte.
Ne sachant que faire, elle ferma sa partition et s’approcha de celle de sa voisine. C’est alors qu’elle se rendit compte que les paroles n’étaient pas en Allemand mais dans une langue orientale indéfinie et incompréhensible. C’était une anomalie : en aucun cas, Schumann n’aurait pu écrire dans cette langue.
Alors, Sarah cessa de se battre. Elle se tut pour se repérer à l’oreille afin de se raccrocher au groupe. Grand Dieu, elle l’avait déjà chantée, cette pièce, confiance!
Mais, échec total ! Et ses collègues, habituellement sympathiques, semblaient indifférents à son marasme. Elle aurait souhaité un peu de sollicitude de leur part. Elle se recroquevilla alors sur elle-même et tenta de se concentrer sur l’image de la belle mangue qu’elle avait achetée au marché ce matin. C’est sûr, à midi elle se régalerait.
Puis, tout s’accéléra : le chef hurlait, les choristes braillaient, frappaient des mains, les partitions virevoltaient dans une danse folle.
Alors, Sarah entendit :
– Réveille-toi, tu as l’air terrorisée, calme-toi !
Elle ouvrit les yeux et s’assit sur son lit. Elle se retrouva dans la chambre d’hôtel où elle s’était installée, la veille, avec une amie. C’est avec soulagement qu’elle se rappela que tout le chœur occupait cette nuit un hôtel du XIXème arrondissement de Paris pour donner le dernier concert de la saison à la Philharmonie. La fatigue et l’excitation avaient généré cet épouvantable cauchemar. Elle sourit, rassurée, et remercia son amie. Puis elle se prépara pour la répétition générale.
Une heure plus tard, elle ouvre sa partition pour chanter le Voyage en Italie de Schumann. Mais…que se passe-t-il ?…Elle n’a devant elle…que des feuilles vierges…
Mai 2019