Dimanche 3 juin 2012- A partir du mot « saltimbanque » proposé par un premier participant, texte produit par un second participant :
« Avec art, discrétion et malice
Avec magie, puissance et à vie
Je détourne tous les vices, dans mon sac.
Ils se transforment, sous vos yeux, ils apparaissent. J’écris à vue un mouvement continu. »
Il s’agit d’inclure ce texte dans une production. L’intrigue doit se dérouler dans une ville inconnue.
Habib arriva dans une ville. Il ne connaissait plus ce milieu depuis longtemps. Le bruit, le mouvement, les odeurs, les images l’agressaient encore un peu. Il espérait s’y habituer.
Il vivait depuis longtemps sur une île dont il ne sortait jamais car elle lui suffisait, lui apportait une paix intérieure. D’autres habitants y étaient installés mais l’espace ne manquait pas et chacun d’eux pouvait investir son territoire sans gêner l’autre.
Un jour, il décida de plonger à nouveau dans la civilisation. Non par nécessité, mais pour vivre une expérience. Il ne s’était pas donné de délai, il était libre de la durée de ce qu’il allait vivre. Il avait décidé que ce moment loin de son havre de paix devait durer aussi longtemps que nécessaire pour devenir positif. Ne pas renoncer aux premières difficultés. Continuer.
Il entra dans un café et s’installa à une table dans le fond de la salle pour garder un rôle d’observateur. En cette fin de matinée, certains clients passaient un moment convivial entre copains, d’autres restaient seuls, sans être solitaires.
Dans le brouhaha des conversations, il perçut un mot qui l’intrigua : « Saltimbanque ». Une très jeune femme l’avait prononcé en direction de son compagnon. Les deux protagonistes semblaient en colère et ce mot devait avoir été asséné pour faire mal. Le jeune homme mit un temps pour accuser le coup porté. Puis il se leva et sortit. Habib le suivit, curieux de comprendre. Ils arrivèrent dans un endroit plutôt désert. Là, le jeune homme se retourna et s’adressa à l’homme qui le suivait :
-
Que voulez-vous ?
-
Savoir pourquoi vous êtes un « saltimbanque » d’après cette jeune femme.
-
Ah ! Vous avez entendu ! Ce n’est pas très important vous savez, je me sens seulement un peu seul.
-
Je suis là !
-
Venez, entrez.
Habib suivit le jeune homme dans ce qui ressemblait à un atelier puis découvrit, au milieu de la poussière, des formes taillées dans la pierre. Le jeune homme annonça alors de manière énigmatique :
- Avec art, discrétion et malice !
Habib fut déconcerté par cette intervention. Il se reprit pourtant rapidement car lui, l’insulaire, était habitué à comprendre avec peu, ou même pas, de mots. Le langage n’était pas primordial.
-
Tu es en recherche. Toi et la pierre, vous n’êtes pas encore assez intimes. Te sens-tu triste de ne pas aboutir ?
-
Et toi, es-tu triste dans ta recherche sans but ?
Habib sourit. Le jeune homme avait compris. Celui-ci conduisit alors son nouvel ami vers un grand objet recouvert d’un drap blanc et le découvrit de manière théâtrale en annonçant :
-
Avec magie, puissance et à vie !
Habib sentit que cette sculpture était achevée. Il en admirait la force, le mouvement, le toucher, la matière. En effet, elle semblait parfaite.
-
Pourquoi caches-tu cette merveille ?
-
Parce que je ne veux pas décliner sans cesse des variations de ce définitif. Je dois repartir à zéro à chaque fois. Même si la magie met longtemps à opérer, si l’œuvre résiste dans le bloc de pierre. Tant qu’une œuvre n’est pas achevée, je ne la recouvre pas. Mais cela ne m’empêche pas de travailler un autre bloc de pierre et encore un autre, puis revenir au premier. Je détourne tous les vices un à un.
Habib était impressionné par cet homme qui, seul dans son atelier froid, se heurtait à la pierre dure et noble, sans se soucier du temps, de l’espace, faisant confiance à la matière et pourtant conscient de son pouvoir. Il pensait à son île. C’est là que sa solitude avait développé cette capacité de disponibilité nécessaire pour saisir le langage de l’artiste. Il pensa que ces vices, dans le langage du jeune homme, se transformaient sous ses yeux, apparaissaient comme le lapin sortant du chapeau d’un magicien. En cela, il pouvait faire la relation avec le mot « saltimbanque ».
-
Tu ne dois pas te sentir blessé par ce qualificatif. C’est parce que tu as l’esprit d’un saltimbanque que tu peux te permettre de créer de cette manière !
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Je n’en connais pas d’autre. Je suis heureux ainsi, enfin pas vraiment heureux mais détaché. Je sais que j’avance et que je dois le faire seul.
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Moi, je vis sur une île. C’est mon choix parce que j’ai besoin de ce monde à part, proche et lointain. Je crois que nous nous ressemblons.
-
Qui sommes-nous ? Est-ce que nous souffrons ?
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Nous sommes des personnages issus des traces laissées par un crayon conduit par l’imagination d’une femme. Qu’a-t-elle à nous dire ? Qu’as-tu à nous dire ?
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J’écris à vue, d’un mouvement continu.
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Pourquoi ne laisses-tu pas les mots venir à toi et ne leur fais-tu pas confiance ? Ne connais-tu pas une île ?
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Oui, je connais une île mais j’ai besoin de savoir quand ma tâche est achevée. Comment voulez-vous que nous terminions votre histoire ?
Habib réfléchit. Il était tenté de retourner sur son île mais avait-il suffisamment avancé dans sa quête ? Il consulta le jeune artiste du regard.
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Allons vraiment découvrir la ville. Il faudra nourrir notre imaginaire et désirer le retour à la solitude pour y revenir. Nous n’aurons plus besoin de ta main. Nous déciderons seuls de notre destinée.
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