Autoportrait

Mon dernier anniversaire était celui de mes soixante ans. Pour garder le moral, j’ai pensé que je ne serai plus jamais aussi jeune qu’aujourd’hui. En effet, parfois, en observant des photos anciennes, je me dis « Ah quand même, j’étais jeune à ce moment-là ». Donc, inutile d’attendre, pour se réjouir de ce qu’on est et de ce qu’on a.

Rides et cheveux blancs montrent que mon temps est bien avancé. Mais quand je participe au groupe de scrabble, je suis la plus jeune. Du coup, je suis capable de plonger à quatre pattes chaque fois qu’une joueuse fait tomber une de ses lettres pour lui ramasser. Et les dames s’exclament : « quelle chance d’être souple ! »

En fait, je ne suis pas souple du tout, physiquement j’entends. Ma raideur m’a accompagnée toute ma vie et m’a freinée dans plusieurs apprentissages. C’est ainsi. Il fallait être patient parce que maintenant, ce n’est plus un problème.

Je souffre d’angoisse depuis plusieurs années, peut-être depuis toujours. J’ai besoin d’être accompagnée pour vivre avec ce trouble envahissant. Quand je travaillais, ma tâche me donnait un statut qui me permettait de montrer une certaine assurance. Mon mantra était : « reste professionnelle ». Mais la cessation de mon activité m’a placée impitoyablement face à moi-même.

Plus de cadre rassurant et stimulant. Vacuité et solitude se sont installées. Alors, je suis venue m’installer à Chartres pour être près de ma fille et de mon petit-fils. Puis, je me suis lancée dans une foule d’activités.

Les années passant, ma fille a eu un autre petit garçon, puis s’est séparée de son mari. De plus, elle a déscolarisé ses enfants. Du coup, elle compte régulièrement sur moi. J’ai aménagé mon appartement afin de les accueillir dans de bonnes conditions et de leur donner toute latitude pour développer leur créativité. L’autre jour, ma belle-fille m’a dit : « Ici, c’est le paradis des enfants ». Quel plaisir pour moi !

Dans mes relations avec les autres, je suis tolérante, compatissante, à l’écoute. Je ne supporte pas de blesser quelqu’un. Revers de la médaille : je suis toujours à ménager la chèvre et le chou, du coup on m’a déjà reproché ma lâcheté. Ceci est très subjectif et n’a plus vraiment d’intérêt.

Aujourd’hui, j’ai fait le tri dans mes activités. Je ne suis plus hyperactive. Je prends du temps pour faire des choses inutiles que j’aime : lire, écrire, écouter de la musique, faire des jeux, regarder des films et des séries.

Serais-je enfin arrivée à la sagesse ?

10/03/2019